Vent de l’Aube feulait férocement, griffant le flan du chat noir. Ce dernier le repoussa d’un coup de patte puissante, et les deux mâles se firent face, menaçants. La fourrure du lieutenant avait doublé de volume. Il se prépara à replonger dans le combat, mais n’en eut pas le temps ; Fleur de Lune venait de s’interposer entre les deux combattants, et, déjà, se jeta sur le mâle aux yeux de glace. Le chat bicolore regarda les deux chats sans savoir s’il devait intervenir. Il constata que la guérisseuse avait rendu le mâle borgne, et que les deux continuaient à se battre.
Juste après cela, l’esprit du matou s’en alla vagabonder, sans qu’il ne sache pourquoi. Il vit le chat noir, blessé et meurtri, fuir par-delà le Pic Enneigé. Il regardait derrière lui, mais Vent de l’Aube ne pouvait deviner si son regard reflétait de la haine ou de la tristesse. Derrière lui, les territoires des Clans semblaient menaçants. Devant lui, des contrées étrangères s’étendaient à perte de vue. Le lieutenant devinait, dans sa vision, que des chats attendaient plus loin. S’ils laissaient partir ce chat aux yeux de glace, irait-il chercher des renforts, pour s’emparer de la forêt ? Peut-être que ce chat avait déjà des compagnons. S’ils le tuaient, allaient-ils revenir se venger ? Perdu dans ses pensées, le matou aux yeux vairons ne sentait pas qu’on cherchait son attention.

- Vent de l’Aube !

La vision du chat noir disparu. Le lieutenant était de retour dans la Maison Abandonnée. Nuage Infernal était à côté de lui ; il semblait lui vouloir quelque chose.

- Vent de l’Aube ! insista l’apprenti.
- Que se passe-t-il ?

La tension dans le lieu clos était presque palpable. Nuage Infernal avait un air sérieux. Son mentor ne se souvenait pas l’avoir vu comme ça depuis un long moment ; que voulait-il donc ?

- Je sais que ce chat est un meurtrier ! lança l’apprenti. Mais le code du guerrier dit que pour gagner une bataille, il ne faut pas forcément tuer l’ennemi !

Vent de l’Aube voulut rétorquer qu’en tant que lieutenant, il connait bien mieux le code du guerrier. Mais il n’en fit rien. Le novice avait raison ; de plus, le lieutenant ne pouvait nier l’étrange vision qu’il venait de recevoir. Si elle prévenait du futur, il ne pouvait rien faire pour le changer. Tel était le destin.
Le chat bicolore regarda vers Fleur de Lune. L’autre chat était tapi, au raz du sol ; il semblait de nouveau vouloir attaquer. Du sang sortait de l’un de ses yeux fermé. Dans son autre œil de glace, on y pouvait lire la haine, l’étonnement, et un autre quelque chose que Vent de l’Aube n’identifia pas tout de suite. Il l’observa longuement, dans le silence de la Maison Abandonnée. Ce mâle, meurtrier, aux muscles puissants et au pelage de jais, ne cherchait pas qu’à tuer. Le lieutenant se doutait de plus en plus qu’il avait une famille, une compagne, des chatons, qui l’attendaient, quelque part, hors du territoire des Clans. Le lieutenant commençait à en être certain.

- Il suffit !

Si certains chats voulurent attaquer, ils durent s’arrêter aussitôt après le feulement puissant de Vent de l’Aube. L’air menaçant, il s’approcha du chat noir. Ce dernier n’avait toujours pas bougé ; son unique œil reflétait les mêmes expressions.

- Je sais ce que tu ressens.

Malgré son air agressif, sa voix ne l’était pas. Cependant, le lieutenant continuait de dominer le chat noir, le regardant de haut.

- Mais nous attaquer n’est pas la meilleure solution. Quand on est seul contre tous, il est impossible d’y arriver. Si tu veux partir, ce sera maintenant ou jamais. Sans combat.

Vent de l’Aube n’essaya même pas de regarder ses compagnons ; il fixait l’œil valide du matou. Celui-ci voulait partir. Mais allait-il vraiment le faire ?

HRp :